Vous écoutez "Gavotte et 5 variations" de Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Le marché du livre clandestin : entre censure, économie et audace
Dans la préface de son ouvrage De l’Esprit (1758), Helvetius (1715-1771) soulève une part essentielle de la question du marché du livre clandestin de la 2e partie du XVIIIe siècle.
« Quelques-unes de mes idées paraîtront peut-être hasardées. Si le lecteur les juge fausses, je le prie de se rappeler, en les condamnant, que ce n’est qu’à la hardiesse des tentatives qu’on doit souvent la découverte des plus grandes vérités ; et que la crainte d’avancer une erreur ne doit point nous détourner de la recherche de la vérité. En vain des hommes vils et lâches voudraient la proscrire, et lui donner quelquefois le nom odieux de licence ; en vain répètent-ils que les vérités sont souvent dangereuses. En supposant qu’elles le fussent quelquefois, à quel plus grand danger encore ne serait pas exposée la nation qui consentirait à croupir dans l’ignorance ? »
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L’ouvrage obtint pourtant le privilège du roi avant de le perdre et de donner lieu à l’une des polémiques les plus violentes autour de la censure d’un livre.
Ces polémiques et les débats qu'elles occasionnèrent offrirent l'opportunité au Directeur de la Librairie, Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes (1721-1794), lui-même soutien quelques années auparavant de la publication de l’Encyclopédie par ses amis d’Alembert et Diderot, de poser avec finesse et éclat la question de la liberté de la presse et de la librairie.
Selon Malesherbes, la censure obligatoire devait être limitée aux ouvrages susceptibles d’ébranler les principes fondamentaux de la religion, du pouvoir royal et de la morale. Les écrits « philosophiques » (dans le sens large donné à l’époque au terme) devraient pouvoir paraître sans être soumis à des contrôles fastidieux et des plus aléatoires, car tributaires du jugement personnel des censeurs.
« Il faut donc, ou prévenir les livres répréhensibles par la censure, ou les punir par la justice ; et comme la censure et la justice s’exercent par les hommes, le caprice des censeurs ou la crainte des caprices de la justice seront toujours un obstacle à la liberté de la presse, jusqu’à ce que tous les tribunaux du Royaume, dirigés par la Nation elle-même, se soient pénétrés de principes assez certains sur cette liberté, pour que les auteurs qui, dans leur conscience, savent qu’ils n’ont pas d’intention criminelle, soient bien assurés qu’ils n’ont rien à craindre »
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Le Mémoire sur la Librairie et la liberté de la Presse (1758) devait avoir un immense retentissement mais pour l’heure encore, ce sont les colporteurs, les boutiquiers et parfois les grands libraires qui font le marché du livre interdit, dans un monde où l’appât du gain et l’instinct de survie économique l’emportaient sur les choix <!-- /* Font
« idéologiques ». Contrairement à ce qu’on croit, si les travailleurs du livre (éditeurs, imprimeurs, revendeurs de toutes sortes) risquaient les perquisitions et la Bastille, c’était surtout parce que la demande primait sur toutes autres considérations. La demande était « philosophique », donc illicite. Les années prérévolutionnaires sont certes des années qui sapent les fondements d’un ordre très ancien, mais elles sont surtout une époque au cours de laquelle ce monde ancien qui était parfois éclairé (comme le roi et ses ministres), était incapable d’adapter sa société et son économie à un monde de plus en plus ouvert autour de lui, notamment à ses frontières.