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8 décembre 2012 6 08 /12 /décembre /2012 15:32

 

 

 

 

 

 

Vous écoutez, Gigue, la petite, de Marin Marais (1656-1728)

 

 

 

 

Lire mais pour quoi faire ?

 

« Il faut beaucoup de livres, puisqu’il y a beaucoup de lecteurs. Il en faut pour toutes les conditions, qui ont un droit égal à sortir de l’ignorance », Louis-Sébastien Mercier,Tableau de Paris, édition de 1782.

 

Le célèbre chapitre du Tableau de Paris  (n°377) sur les loueurs de livres chante l’allégresse de lire en même temps qu’il offre surtout un panorama de ce qu'on lisait avant tout par cette formule lapidaire :

 

« Usés, sales, déchirés, ces livres en cet état attestent qu’ils sont les meilleurs de tous ; »


On lit beaucoup, certes, mais on lit aussi de tout et de n’importe quoi, à l’opposé de ceux que souhaitent les hommes des Lumières pour qui la lecture doit conduire au savoir, le savoir au progrès. Mercier poursuit ainsi :

 

« Le critique hautain qui s’épuise en réflexions superflues, devrait aller chez le loueur de livres, et là voir les brochures que l’on demande, que l’on emporte et auxquelles on revient de préférence. Il s’instruirait beaucoup mieux dans cette boutique que dans les poétiques inutiles dont il étaie ses frêles réflexions.

Les ouvrages qui peignent les mœurs, qui sont simples, naïfs et touchants, qui n’ont ni apprêt, ni morgue, ni jargon académique, voilà ceux que l’on vient chercher de tous les quartiers de la ville, de tous les étages des maisons. Mais dites à ce loueur de livres : donnez-moi en lecture les œuvres de M. de la Harpe ; il se fera répéter deux fois la demande, puis vous enverra chez un marchand de musique, confondant l’auteur et l’instrument ».

 

  http://books.google.fr/books?id=2o0s0FXsLh4C&hl=fr&hl=fr&pg=PP7&img=1&zoom=3&sig=ACfU3U0Yp4J6ihFe-EwKHXW11qWyc-fSLw&ci=19%2C31%2C952%2C1549&edge=0

Accéder à l'ouvrage

 

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Le grand écrivain et libelliste Sébastien Mercier avait non seulement compris à la fin du XVIIIe siècle l’immense progrès quantitatif des lecteurs mais il avait aussi dénoncé les dangers sur la variable qualitative ; dans son œuvre uchronique et utopie moralisante, intitulée l’An 2440, rêve s’il en fut jamais (1771), les hommes sont libérés de la tyrannie des mauvais livres et des savoirs inutiles par un immense autodafé :

 

« D’un consentement unanime, nous avons rassemblé dans une vaste plaine tous les livres que nous avons jugé frivoles ou inutiles ou dangereux ; nous en avons formé une pyramide qui ressemblait en hauteur et en grosseur à une tour énorme : c’était assurément une nouvelle tour de Babel. Les journaux couronnaient cet immense édifice et il était flanqué de toutes parts de mandements d’évêques, de remontrances de parlements, de réquisitoires et d’oraisons funèbres. Il était composé de cinq à six cents mille dictionnaires, de cent mille volumes de jurisprudence, de cent mille poèmes, de seize cent mille voyages et d’un milliard de romans. Nous avons mis le feu à cette masse épouvantable, comme un sacrifice expiatoire à la vérité, au bon sens, au vari goût ».

 

Ce qui devait être sauvé l’a été :

 

« Nous avons fait des abrégés de ce qu’il y avait de plus important ; on a réimprimé le meilleur : le tout a été corrigé d’après les vrais principes de morale ».

 

http://books.google.fr/books?id=qAk6AAAAcAAJ&hl=fr&hl=fr&pg=RA1-PR1&img=1&zoom=3&sig=ACfU3U2F19Xyze3X48pR7AVlFIB2Uurpgg&ci=19%2C38%2C939%2C1424&edge=0

Accéder à l'ouvrage

 

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Sébastien Mercier révèle ainsi la problématique du siècle des Lumières qui se félicite d’un côté d’un appétit immense de savoir par le plus grand nombre mais qui se méfie de l’autre, autant de la part des philosophes que des autorités monarchiques et ecclésiastiques, de ce que ce plus grand nombre pouvait bien en faire. A la veille de la Révolution française, lire n’était pas seulement un enjeu pour l’ordre social et politique existant, il l'était tout autant pour le monde de ceux qui voulaient agir sur son présent et son avenir. Les pamphlets et les brochures de toutes sortes, dans ce qu’ils avaient de distrayants, de décousus, de diffamatoires et de clandestins, participaient déjà de cet effrayant désordre social et politique.

 

 

L’alphabétisation progresse à grands pas au siècle des Lumières et distille un savoir vivre et une civilité entre humanisme et courtoisie mondaine ; en même temps que la lecture se démocratise, « un double processus fait […] abandonner par l’élite les signes traditionnels de sa distinction au fur et à mesure que leur divulgation les fait accaparer par d’autres ». En écrivant ces mots, l’historien Norbet Elias envisageait la révolution des mœurs qui, par l’un de ses vecteurs majeurs (la lecture), rétrécit et affadit la notion de civilité en délaissant progressivement ce qui faisait ses fondements politiques et religieux pour énoncer en direction de tous des règles élémentaires d’un savoir être. Lentement, la lecture accompagne les changements et la vie se charge de les mettre en pratique.

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