Vous écoutez Domenico Scarlatti (1685-1757), sonate en A mineur
L’empreinte des œuvres sur l’opinion publique: la part de la contestation et de l'audace à l'honneur
On ne saura jamais vraiment quels sont les ouvrages qui dans les dernières années de l’Ancien Régime ont le plus marqué les lecteurs. Dans le domaine du pamphlet et de la politique néanmoins, la mesure était souvent d’ordre protestataire contre les Grands de ce monde et même le roi n’échappait pas aux saillies des auteurs les plus mordants. A bien des égards, quelle que soit la réforme et même une bonne réforme, la protestation avait le vent en poupe parce qu’elle était soutenue par une société de privilégiés qui n’avaient pas d’intérêts communs assez solides et solidaires dans ce changement. La réforme en elle-même n'était pas soutenue par l'opinion quand bien même elle visait à terme le bien être et le progrès; la réforme était déstabilisatrice de l'ordre du monde et de toute une société et ses élites étaient vigilantes dans la préservation d'un statu quo.
Lorsque les brochures défendaient le roi et ses réformes c’était immanquablement pour stigmatiser les corps intermédiaires et en particulier les parlements. Populaires, les parlements l’étaient parce qu’ils étaient les seuls à ferrailler avec le pouvoir, les seuls à bénéficier des canaux de contestations les plus autorisés (et encore, étaient-ils très discutés voire niés par le Roi).
Parmi les pamphlétaires les plus prolixes en faveur de la monarchie, figurait le grand Voltaire (1694-1778). Contrairement à la plupart des « philosophes » tels Denis Diderot, Voltaire avait horreur des assemblées. Même s’ils n’aimaient pas les magistrats et leur justice, la plupart des hommes éclairés estimaient que sans eux règneraient un despotisme bien plus grand. En1789, les Etats généraux convoqués prendront le pouvoir par l’intermédiaire du tiers état et en créant une Assemblée nationale, enterreront, et les magistrats, et le pouvoir absolu du roi.
En attendant, voici le genre de texte qui inondait le public au moment d'une grande réforme de la justice entreprise par Louis XV, dont Voltaire était l’auteur et qui répétait inlassablement dans l’esprit ce slogan : hors le Roi, point de salut !
La folie de bien des gens dans les affaires du temps (1771)
« Français, éclairez-vous. Il vaut mieux un maître que deux mille ; ce n’est pas votre cause que défend le Parlement défendait, c’était la sienne. Dans quelle histoire avez-vous lu que des particuliers ont cherché à s’emparer de l’autorité royale pour l’amour du peuple ? Dans aucune. Ceux qui veulent nous persuader que le parlement cherchait l’autorité royale pour l’amour du peuple, nous trompent, ou nous croient des imbéciles. Si le parlement eût eu tant à cœur qu’on le dit des intérêts du peuple, il eût pris des moyens pour ne pas le laisser manquer de pain. Que l’esprit ne nous séduise pas, mais le jugement : toutes les remontrances des parlements manquent de jugement. Le roi prétend avoir seul le pouvoir législatif en France, indépendamment d’aucun parlement. Ce pouvoir législatif du roi est avoué par la raison, par la religion, par l’histoire, et par le sentiment unanime de tous les jurisconsultes… Le roi ne serait plus qu’une ombre du roi, le parlement serait le vrai roi… ».
Le soutien du Roi et des ministres n'avait pas trop de prise sur l'opinion publique qui, à tort ou à raison, leur préférait l'audace des pamphlets contestataires.
Dans l’autre camp, les pamphlets pullulaient sans être forcément favorables aux parlements, mais ils saisissaient les moindres tares de la Cour, des ministres et du roi, pour offrir au public un dévoilement des secrets dont il ne se lassait jamais. Parmi les œuvres qui ont rempli les bons offices communs de la contestation générale, Les Anecdotes de la comtesse Du Barry (1775), de Mathieu-François Pidansat de Mairobert (1727-1779), remportèrent la palme d’un succès jamais démenti jusqu’à la Révolution. La recette consistait à prendre pour cible un personnage public pour le diffamer et livrer ainsi une chronique de la débauche qui s’étalait à la cour comme à la ville à la fin du règne de Louis XV. La préface qui suit est un standard de la méthode : dénoncer les libellistes, se dire historien scrupuleux en donnant ses propres versions, en substituant d’autres calomnies aux calomnies. Après la mort de Louis XV (1774), la Du Barry (1743-1793) est disgraciée et Louis XVI est devenu le nouveau roi de France :
« Aujourd’hui que Madame Du Barry n’a ni puissance, ni crédit pour flatter la malignité du public, il n’aura pas la bassesse de charger le tableau d’une vie déjà trop remplie de scandale et d’infamie. Il [l’auteur] a eu en vue un but plus honnête et plus utile ; ça a été de consoler dans son obscurité le citoyen qui, par sa naissance jeté loin de la Cour et des Grandeurs, gémirait de ne point obtenir celles-ci ; de lui montrer par quels moyens on y parvient, quelles mains les prodiguent, et sur quelles têtes elles s’accumulent. Mais plus heureux que beaucoup d’autres moralistes dans le choix de son sujet, il en a trouvé un qui réunit à l’intérêt de l’Histoire tous les agréments du roman, qui peut convenir et au philosophe austère et à l’homme frivole, nourrir les réflexions de l’un, amuser l’oisiveté de l’autre, et plaire ainsi aux diverses espèces de lecteurs ».
L'ouvrage mêlait ainsi l'actualité politique à un humour grinçant et diffamatoire destiné à dénoncer l'ascendant de la Favorite (et donc des ministres) sur Louis XV, responsable de la situation du royaume. C'était l'occasion de nombreux couplets de ce genre:
France, quel est donc ton destin,
D’être soumis à la femelle ?
Ton salut vint d’une pucelle [Jeanne d'Arc],
Tu périras par la catin.
Accéder à l’ouvrage (version du XIXe siècle)